Le Yoseikan vu de l'interieur avec David Orange Jr. - Troisième partie

Troisième partie - L'évolution du Yoseikan

Dans cette troisième partie, nous parlons de l'avenir du Yoseikan: comment l'art de Mochizuki sensei a évolué, au point d'être maintenant enseigné au sein d'une variété de groupes et d'organisations à travers le monde.


Mochizuki sensei a étudié de nombreux arts et a consacré sa vie à découvrir ce qui les reliait. Comment était-ce apparent dans son enseignement ou dans sa façon de pratiquer? As-tu remarqué un changement dans la façon dont il faisait les choses au fil du temps?

J'ai commencé l'Aïkido Yoseikan en 1974 dans la lignée issue de l'armée de Redstone dans les années 1960. Cet Aïkido était enseigné comme un art extrêmement puissant d'autodéfense et de protection. La formation était rapide et douloureuse. L'une de nos principales ressources était un manuel rédigé par le capitaine Thomas E. Bearden, de l'armée américaine, formé par le capitaine des Forces d'autodéfense japonais Sadayuki Demizu, gendre de Minoru Mochizuki. Le manuel était complet d'un point de vue militaire et comprenait des concepts pour attaquer le corps et l'esprit d'un attaquant par le biais de la technique Aiki. Glenn Pack était shodan et s'entrainait adolescent dans le groupe Redstone sous la direction de Demizu sensei. Il a développé un groupe enthousiaste à l'Université de l'Alabama, à Tuscaloosa, s'entraînant vigoureusement. En 1975, Patrick Augé a été envoyé par Mochizuki sensei pour superviser la formation des ceintures noires promues dans le cadre du programme Redstone. Patrick n'a pas conservé l'accent mis sur le Ki et a élargi le programme technique de notre pratique pour y inclure le Judo, le Karaté et le Kenjutsu, dans le même mélange harmonieux que Mochizuki sensei enseignait à Shizuoka à cette époque, y compris les sutemi waza.

 
Patrick Augé ©Budo Yoseikan

J'ai donc observé une évolution technique dès le début. L'ancien Aïkido Yoseikan ressemblait plus à du Yoshinkan et dans les nouveautés on trouvait les sutemi waza et des mouvements plus fluides qu'au Yoshinkan, peut-être plus proches du Judo. L'ancien système était formel mais avec un panel technique restreint. Il y avait quinze ou vingt techniques majeures qui pouvaient être exécutées de milliers de façons, comme cela est communément le cas en Aïkido, mais l'esprit était sérieusement martial, destiné à amener à une victoire décisive dans chaque situation. Il ne s'agissait pas de tourbilloner dans tous les sens, mais de maîtrise technique, de la victoire au combat. Pas de l'auto-défaite psychologique. Je venais juste de commencer ce système lorsque Patrick Augé est arrivé pour présenter le programme du Hombu, y compris les quatre principaux kata du Yoseikan Budo.

Il est difficile toutefois de penser que Sensei « changeait ». Ses techniques ont pu donner cette impression mais je pense qu'il enseignait en fait par cycles. Ses techniques de mains / bras comportaient trois catégories: uchi nejiri ho, soto nejiri ho et choku tai ho (torsion du bras vers l'intérieur, torsion du bras vers l'extérieur et méthodes corporelles en ligne droite). Il y avait plusieurs façons d'entrer dans chaque catégorie. Par exemple, vous pouvez faire uchi nejiri ho en allant à 45 degrés vers l'avant, vers le coin arrière d'Aite, ou quatre-vingt-dix degrés de votre côté, ou vous pouvez tourner cent trente-cinq degrés et aller vers votre propre coin arrière. Ou vous pouvez vider son étreinte en tournant votre main vers l'intérieur et vers le bas… Soto nejiri ho avait également différentes méthodes d'entrée, mais le chokutai ho était fait à partir d'Age te. Sensei avait de nombreuses variantes de la plupart des techniques. Après quelques mois, il revenait à la première, puis recommençait un cycle. Mais sa carrière touchait à sa fin quand je l'ai rencontré, il finalisait le travail de sa vie en complétant sa forme de Gyokushin ryu et en laissant enfin le Yoseikan Budo entre les mains de son fils, Hiroo. Je pense que l'ancien Aïkido Yoseikan était le véritable Aïkido du Yoseikan alors que l'art qui incluait les sutemi waza et les différents kata était en fait la forme de renaissance du Gyokushin ryu jujutsu élaborée par Sensei. Olivier Desrochers, un étudiant de longue date d'Augé sensei, a posté un gros plan du tampon de Mochizuki sensei, qu'il avait utilisé pour les certificats Okuden remis à ses vingt meilleurs étudiants. Le tampon est gravé 柔 術 玉 心 流 中興 (jujutsu Gyokushin Ryu Chūkō). D'après Olivier, « le sens japonais de Chûkō est quelqu'un qui est responsable de la renaissance d'un art, d'une religion ou d'une école, comme un deuxième fondateur. » Cela montre que la renaissance du Gyokushin ryu a été un facteur majeur dans la pensée de Mochizuki sensei. Il m'a expliqué que c'était une obligation personnelle qui était profondément importante pour lui. Je pense maintenant que Sensei a peut-être créé ces cinq kata non pas pour le Yoseikan Budo, mais pour le Gyokushin ryu. Il pensait aux trente-deux générations précédentes et s'excusait auprès de chaque génération du Gyokushin ryu. L'art a donc évolué sous sa direction, de tout ce qui avait été dans l'histoire à ce qui se passait au Yoseikan hombu des années 1950 jusqu'à ce que Sensei se retire officiellement au milieu des années 1990. Il a tamponné tous ses documents finaux (comme il tamponnait beaucoup de choses depuis des années) avec son tampon jujutsu Gyokushin ryu chūkō. Terumi Washizu sensei a ensuite pris la responsabilité de guider le Ryu pour les mille prochaines années.
 
Washizu Terumi au dojo Yoseikan


 Je pense que l'ancien Aïkido Yoseikan était le véritable Aïkido du Yoseikan alors que l'art qui incluait les sutemi waza et les différents kata était en fait la forme de renaissance du Gyokushin ryu jujutsu élaborée par Sensei.


Pour ce qui est de l’évolution des techniques de Mochizuki sensei, je ne sais pas quoi dire. L'évolution s'accroche à l'histoire et l'être humain conserve un cerveau reptilien. Le singe ne tombe pas trop loin de l'arbre, il est donc important de former cet aspect de notre être d'une manière qui ne va pas trop loin de cette nature. Si l'entraînement devient trop stylisé, il évolue vers la danse, pas un nouvel art martial et pas vraiment une bonne danse non plus. Mais ne pas faire ses propres rercherches revient à fossiliser la pratique. Avec Terumi Washizu comme nouveau chef de file, le Gyokushin ryu sera sans aucun doute une force fraîche et éveillée dans le monde des arts martiaux.


Aujourd'hui, l'héritage de l'Aïkido Yoseikan de Mochizuki sensei est plutôt divisé et de nombreuses écoles ont été créées sur la base de son enseignement. Parmi elles, nous pouvons nommer le Yoseikan Budo, l'Aïkibudo, le Nihon Tai Jitsu, l'Aïkido Gyokushin ryu, le Seifukai, le Kobukai et bien d'autres. il me me semble que Mochizuki sensei ne souhaitait pas que les gens le "suivent", mais plutôt qu'ils trouvent leur propre chemin, cela expliquerait-il pourquoi nous nous sommes retrouvés avec autant de descendants?


Je pense que les gens se séparent les uns des autres comme ils le font avec un enseignant, dans un processussimilaire à shu ha ri 守 破 離. Lorsqu'une génération de pratiquants s'entraine ensemble, tous évoluent différemment et des changements et des mutations surviennent. On voit alors des organisations dédiées à garder les choses pures, et quelqu'un finit par « posséder » un nom. Cela peut être très difficile pour les personnes qui veulent simplement s'entraîner. Mais si shu ha ri s'applique à nos professeurs, c'est également le cas avec nos camarades de pratique, Parfois, les gens ressentent simplement le besoin de se séparer. Depuis que OSensei s'est séparé de Sokaku Takeda, ce genre d'esprit semble se retrouver à chaque époque. Mochizuki sensei ne s'est pas séparé d'OSensei mais il avait son propre dojo, déjà appelé Yoseikan, quand OSensei lui a rendu visite en juin 1932 et lui a donné le parchemin d'enseignement du Daito ryu. Sous le nom de Yoseikan, Sensei enseignait le Daito ryu aiki-jujutsu, le Judo, le Karaté, le Katori Shinto ryu kenjutsu et d'autres choses.
Je pense que les gens se séparent les uns des autres comme ils le font avec un enseignant, dans un processussimilaire à shu ha ri 守 破 離. Lorsqu'une génération de pratiquants s'entraine ensemble, tous évoluent différemment et des changements et des mutations surviennent. On voit alors des organisations dédiées à garder les choses pures, et quelqu'un finit par « posséder » un nom. Cela peut être très difficile pour les personnes qui veulent simplement s'entraîner. Mais si shu ha ri s'applique à nos professeurs, c'est également le cas avec nos camarades de pratique
Mochizuki sensei avait des élèves dans le monde entier eavec des parcours divers et variés. Beaucoup de ces personnes enseignaient déjà les arts martiaux dans leur pays d'origine lorsqu'il les a rencontrées et il a encouragé les gens à enseigner ses méthodes pour améliorer la qualité générale de l'enseignement. Mais bien sûr, ils n'ont pas appris tout son art et beaucoup d'entre eux sont passés à côté de bouts essentiels. Mais je pense qu'il a également enseigné et encouragé les gens à enseigner en son nom afin que leurs élèves viennent un jour dans son dojo et qu'il puisse les aider à aller au-delà de ce qui leur avait été enseigné. Il voulait vraiment enseigner au monde. Il a enseigné dans l’esprit Judo de ji ta kyo ei et a transmis cette attitude en améliorant la technique des enseignants. Il a montré chaque technique de différentes manières. En fait, toute technique est toujours une équation élaborée en temps réel par le corps et l'esprit pour tenir compte des qualités uniques de l'attaquant et de la façon spécifique dont il attaque. Il n'y avait donc pas de « bonne » façon de faire une technique. Il voulait que la formation aux arts martiaux ne soit pas un enseignement continu mais une recherche personnelle continue avec d'autres personnes d'un niveau très avancé, toutes motivées personnellement à poser ces questions ensemble dans un esprit sincère d'amélioration de soi et de tous les participants. Le processus fait ressortir l’essence personnelle de chacun et la concentre au point qu’à un moment donné, un cisaillement doit se produire parmi certains d’entre eux, en particulier après la disparition du maître.

Je dirais cependant que si vous utilisez le nom de Sensei ou le nom du Yoseikan, vous devez vraiment vous en tenir le plus possible à ce qu'il faisait. Plus précisément, si vous allez enseigner ses kata, vous devez les enseigner comme il les a enseignés. J'ai entendu parler d'une école qui enseigne Ken Tai Ichi No Kata sans la partie à mains nues contre sabre. Je trouve ça un peu incroyable. Cela suppose que celui qui a modifié le kata est plus compétent que Mochizuki sensei lui-même. Si vous ne comprenez pas tout le kata, alors arrêtez de l'enseigner ou trouvez quelqu'un qui peut l'expliquer correctement. Je peux recommander Edgar Kruyning pour cela. En dehors de cela, je suppose que c'est bien d'enseigner de différentes manières et sous différents noms tout en citant l'influence de Mochizuki sensei. Hiroo Mochizuki sensei a demandé aux gens de ne pas utiliser le nom Yoseikan s'ils ne sont pas au courant des recherches que la famille Mochizuki continue en vertu des directives que Minoru sensei a données à Hiroo sensei il y a soixante-dix ans quand il l'a laissé en charge d'enseigner en France. Il a dit à Hiroo sensei de trouver le principe du Yoseikan Budo comme un tout unifié plutôt que l'enseignement parallèle de l'Aïkido Yoseikan, du Judo Yoseikan, du Karaté Yoseikan, etc. Il a trouvé un principe unificateur et a uni tout son enseignement en tant que Budo Yoseikan. Son père a en quelque sorte emprunté le nom et a fait de son dojo le siège mondial alors qu'il enseignait le Gyokushin ryu. Mais il a finalement tout laissé à Hiroo sensei, donc je pense qu'il lui revient de définir l'art.


Minoru et Hiroo Mochizuki
Cependant, certaines personnes s'entrainaient depuis longtemps avec Minoru Mochizuki dans son dojo, dont le kanban à la porte d'entrée disait budo yoseikan kokusai hombu dojo et certains d'entre eux ont reçu le Yoseikan okuden de ses mains. Ils voulaient continuer la tradition de formation que Minoru sensei avait établie au dojo de Shizuoka mais Hiroo sensei a refusé d'avoir une division dans son Yoseikan. Un autre fils de Sensei, Tetsuma, un maître de Karaté, continuait d'utiliser le vieux seikotsu de son père, sous le nom de Yoseikan. Tetsuma sensei s'est joint à plusieurs autres détenteurs du okuden, dont Murai sensei, pour former le Seifukai. Le nom vient du nom de plume de Minoru sensei, Seifu, ou « vent correct ». Il a signé de nombreuses choses de cette façon et a également produit une publication périodique appelée Seifu, transmettant ses opinions sur diverses questions. On peut donc définir le Seifukai comme ceux qui suivent la voie de Minoru Mochizuki sensei. Les gens ont emprunté des voies différentes, certaines organisations se rapprochant davantage de l’intention de Sensei que d’autres.
 

J'ai aussi trouvé très intéressant que Washizu sensei choisisse de continuer le Gyokushin ryu et c'est ce qui m'a fait réaliser que c'était vraiment quelque chose de concrêt. Mochizuki sensei voulait faire revivre le Ryu et il voulait que l'enseignement du cœur sphérique l'accompagne. Aujourd'hui, il semble que Washizu sensei ait établi un groupe sérieux d'excellents enseignants pour transmettre le Gyokushin ryu dans le monde. C'est une méthode qui mérite d'être étudiée.



Tu enseignes aujourd'hui sous le nom de Budo Yoseishin. En quoi ton système diffère-t-il de l'Aïkido Yoseikan, s'il en diffère?

Mochizuki sensei était extrêmement proche de l'homme qui a introduit la raison et la physique dans le système d'enseignement public japonais: Jigoro Kano. En introduisant le Judo dans le système scolaire public, il cherchait à offrir un moyen d'éducation pour le grand public. Comme Kano sensei, Minoru Mochizuki sensei a commencé les arts martiaux comme un moyen de repousser les intimidateurs. Quand il a rencontré Kano sensei, Mochizuki sensei s'était déjà entraîné avec deux de ses meilleurs élèves et avait une formation équivalente à la ceinture noire dans un koryu jujutsu. Jigoro Kano a cultivé l'esprit martial et social de ce jeune homme en l'entraînant et en le faisant pratiquer de nombreux arts martiaux. En retour, Mochizuki sensei avait le devoir de créer un programme pour le Kodokan, que le Kodokan a finalement refusé. Mais Sensei l'a quand même créé et a également fait revivre un koryu jujutsu presque mort. Il était lui-même un éducateur. Et il m'a dit une fois: "Apprenez toujours mon budo."

Je me considère donc également comme un éducateur et j'essaie d'enseigner ce que je peux. J'ai grandi en lisant les manuels de formation des agents du FBI de mon père. J'ai commencé à m'intéresser aux arts martiaux grâce à un manuel sur les tactiques de défense et d'arrestation des agents et un autre sur la prise d'armes à feu. J'ai également été formé à l'enseignement des langues par un professeur de linguistique de Georgetown, le Dr Robert Lado, qui a proposé une théorie de l'apprentissage en cinq étapes, qui s'applique à toutes les matières, y compris aux arts martiaux. Le Dr Lado m'a formé à cette approche et j'ai formé des professeurs à Shizuoka pendant mes quatre années en tant que directeur d'école. J'ai étudié le I Ching, le Tao Te Ching et Zen Mind, Beginner’s Mind toute ma vie d'adulte et ces principes sont majeurs dans l'architecture de ma pensée. Dans ma vie, j'ai travaillé avec des spécialistes de haut niveau dans de nombreux domaines, y compris des scientifiques du NIH et du NINDS, un épidémiologiste de Harvard et un professeur de neurologie à Oxford. Ma pensée est également façonnée par le paradigme sphérique de Buckminster Fuller plutôt que par le paradigme cubique du bon sens général. Je pense que c'est une bonne façon de regarder le monde. Sensei m'a dit une fois: «Regardez toujours tout à l'envers. » Tout se connecte. Et c'est sphérique. Cela couvre l'omote et l'ura.
J'ai beaucoup réfléchi au Gyokushin ryu et son paradigme sphérique. En m'appuyant sur le paradigme zen, souvent représenté par un zéro brossé à l'encre, ainsi que le dicton « tout n'est rien », j'en suis arrivé à la conclusion que le zéro est en fait une sphère (gyoku), d'où le terme gyokurei (zéro sphérique) pour décrire ma propre approche. Zéro n'est rien, mais c'est en fait un terme large. Il peut être aussi grand que le vide de l'espace ou du ciel, ou il peut être de la taille d'un atome. Et comme ce n'est rien, il peut être infiniment plus petit qu'un atome. Mais il est toujours rond parce que ses frontières sont toutes équidistantes du centre du néant. C'est le kokoro, où le ki humain entre dans le monde humain de la non-existence avant la naissance. Puisque nous venons de la non-existence, je pense que nous devons rester proches de cet esprit pendant que nous passons un certain temps ici, parce que la non-existence est l'éternité. L'éternité n'est pas un endroit où nous allons, cela ne commence qu'après la fin de « tout cela ». Nous existons tous dans l'éternité maintenant, en tant qu'êtres éternels. J'en suis conscient à chaque instant de chaque jour. Ça s'appelle l'éternel maintenant. Donc mes motivations derrière le Yoseishin ne sont pas égoïstes mais éducatives, pour aider les gens à cultiver leur propre correction intérieure avec connaissance et perspective.


 
Calligraphie par Kanjuro Shibata XX "Ensō (円相)"
(CC BY-SA 3.0)
Dans les arts martiaux, zéro signifie que la plus petite technique est la meilleure, comme la lame d'un katana. elle ne représente presque rien, fine et pas aussi longue qu'on pourrait le penser, mais c'est tout ce dont vous avez besoin pour le but recherché. Chaque technique doit commencer à rien et ne doit jamais devenir plus que ce qui est nécessaire pour soumettre l'attaquant. La plupart des gens mettent involontairement beaucoup de tension dans leur corps et leur esprit et lorsqu'ils font quoi que ce soit, ils comptent toute cette tension parasite comme leur état « zéro » ou « naturel ». J'essaie donc de leur faire prendre conscience des bases de la position debout et de la marche, en particulier dans le contexte du combat ou de la fuite. En prenant conscience d'une position debout, pleine et détendue, les apprenants peuvent se familiariser avec les envies de se battre ou de fuir qui accompagnent une situation dangereuse. Avec cette prise de conscience, ils peuvent « gérer » leur réponse instinctive jusqu'à ce qu'une action réelle soit requise, moment auquel ils pourront réagir de manière décisive et utiliser leur position et leur poids dans une technique d'Aïkido efficace.

Quant à la signification du nom, Yoseishin signifie yosei-coeur. Ou l'esprit Yosei.

Yo signifie cultiver. Sei signifie rectitude naturelle ou intérieure. Le kanji pour sei peut être lu comme tadashi, une capacité à faire les choses. Il ne peut pas être enseigné car il se rapporte à sa propre personnalité et à sa propre façon de faire les choses. Shunryu Suzuki avait déclaré: « Lorsque vous faites quelque chose, vous devez vous brûler complètement, comme un bon feu de joie, sans laisser de trace de vous. » C'est comme ça. "Tadashii!" est souvent dit aux petits enfants lorsqu'ils font quelque chose correctement et complètement sans avoir à le dire. « O riko chan! » Bon petit enfant! C'est si naturel à la vie humaine.


Dans les arts martiaux, Sei signifie faire une technique ou un kata en pleine présence et en toute fidélité à la technique, sans y injecter quoi que ce soit de soi. Lorsque vous vous engagez complètement dans la pratique, vous vivez dans le sei, le tadashi et la pratique était le moyen pour Mochizuki sensei de cultiver ce genre de vie. Il n’enseignait pas, dans le sens le plus élevé du terme, mais cultivait la rectitude intérieure de chaque personne dans tout ce qu'elles faisaient. S'entraîner aux techniques, qu'il changeait continuellement avec une précision scientifique, devait aiguiser l'esprit,  non seulement pour se battre mais aussi pour prêter attention à son coeur, son corps et son esprit. Je veux donc enseigner ces choses, mais comme je ne fais pas partie du Yoseikan comme la famille Mochizuki le définit aujourd'hui, j'utilise le nom Yoseishin pour dire que je reflète le cœur de Mochizuki sensei dans le but de cultiver le sei dans ma propre vie et de continuer à travailler pour transmettre certaines choses que j'ai apprises de Mochizuki sensei.
 

Quand j'ai entendu parler de Mochizuki sensei pour la première fois, nous faisions un type d'Aïkido que je classifierais de classique, et presque personne aux États-Unis n'avait entendu parler de lui. Tous les Aïkidoka que j'avais rencontrés connaissaient Morihei Ueshiba OSensei et Koichi Tohei. Morihiro Saito également. Mais Minoru Mochizuki n'était pas connu des Américains. De plus, son mélange de Judo, de Karaté et de Jujutsu avec sa formation d'Aïkido était considéré comme impur par de nombreux Américains. J'ai eu une fois un gars qui était furieux à l'idée que je considérerais tous les arts comme « la même chose ». Il n'aurait jamais porté le même dogi pour pratiquer le Karaté, le Judo et l'Aïkido. Mais c'était avant même que le MMA n'existe dans l'esprit du public. Pratiquer tous les arts comme s'ils n'en formaient qu'un était scandaleux. Il a donc fallu longtemps avant que le nom de Mochizuki sensei soit reconnu aux États-Unis, mais je suis heureux qu'il soit devenu si célèbre.

Sensei m'a dit: "Enseignez toujours mon budo." Et j'avais l'impression qu'il me demandait de le représenter dans un film. Impossible. Mais il m'a appris ce qu'il pouvait et m'a fait enseigner régulièrement enseigner au hombu Yoseikan. Il souhaitait que je continue d'enseigner son budo, et c'est via le Yoseishin que je le fais. Depuis quelques années, je réalise une série de dessins assez détaillés des techniques et méthodes de Sensei. Et j’ai écrit sur Sensei et les nombreux arts issus de son dojo. Le but de Mochizuki sensei était le même que celui de Jigoro Kano, cultiver des individus érudits mais indomptables pour élever la société humaine. Il enseignait les arts martiaux et son but était que les gens apprennent et soient modifiés par eux, mentalement et spirituellement aussi bien que physiquement et socialement. Je l'ai observé aussi exactement que possible et l'ai suivi autant que possible. Il voulait honorer et remercier Jigoro Kano, Morihei Ueshiba et Sanjuro Oshima en enseignant aux gens comment se défendre, surmonter les intimidateurs et travailler avec les autres pour une prospérité mutuelle et des avantages en matière de santé et d'éducation. C'est le processus du Yosei. Le sei ne peut pas être transmis de l'extérieur et il ne peut pas être enseigné. Tout le monde l'a déjà mais il faut le développer. Yo signifie « cultiver », comme nous cultivons la nourriture et les plantes. Et la nature de la cultivation est d'encourager et de protéger les bonnes choses qui poussent déjà, tout en disciplinant les éléments moins désirables. Le mental, le corps et l'esprit sont cultivés différemment, mais les arts martiaux comme Mochizuki sensei leur ont enseigné à conditionner le corps et l'esprit mental ensemble de manière congruente. Toutes les techniques de Mochizuki sensei sont conformes aux mouvements humains naturels et ne nécessitent aucune mauvaise utilisation de quelque partie du corps que ce soit. C'est donc important pour la sécurité à l'entraînement mais aussi pour la vieillesse. J'ai donc pensé aux personnes âgées et développé des programmes pour améliorer leur santé et leur mobilité à l'aide de certains exercices d'étirement, de torsion et de points de pression sur les bras issus de l'Aïkido.

Sensei m'a dit: "Enseignez toujours mon budo." Et j'avais l'impression qu'il me demandait de le représenter dans un film. Impossible. Mais il m'a appris ce qu'il pouvait et m'a fait enseigner régulièrement enseigner au hombu Yoseikan. Il souhaitait que je continue d'enseigner son budo, et c'est via le Yoseishin que je le fais.

Je produis également un cours intitulé Judo for Educators, avec manuel et vidéo. Le cœur est un kata que j'ai créé pour enseigner les principes de la prise d'armes à feu pour les interventions d'urgence. J'ai été formé ces méthodes via des sources militaires et policières, y compris le manuel du FBI qui m'a amené à m'intéresser aux arts martiaux et l'enseignement en direct d'un agent du renseignement naval américain de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que Mochizuki sensei, lui-même. Il est facile de trouver des exemples de méthodes de prise d'armes à feu sur Internet, mais beaucoup sont imprudentes et doivent être évitées. Ce kata est issu de plusieurs méthodes de désarmement de base qui illustrent le mieux les principes: sortir de la ligne de feu et dévier simultanément l'arme dans le même mouvement, sans jamais ramener le canon de l'arme vers soi et prendre l'arme en un instant sans lutter avec l'adversaire. Enfin, chaque technique se termine avec le défenseur qui tient l'arme, la tenant en position de tir. Il n'y a pas de techniques de combat, de projection ou de chute. L'intention est de permettre à des enseignants ordinaires de réagir instantanément et de manière décisive dans le cas, certes peu probable, où un tireur viendrait dans leur école, serait à un distance proche d'eux, et serait sur le point de sortir son arme. Mais le contexte est fourni par le texte et les instructions orales pendant la pratique du kata. Cela inclue de comprendre quand on est trop loin pour désarmer en toute sécurité l'attaquant. Bien que les techniques ne soient pas strictement issues du Judo, le projet est basé sur la méthode éducative de Kano: des techniques pragmatiques enseignées lentement et étape par étape via le kata.

Quant à savoir si je devrais enseigner de telles techniques... certaines personnes trouveront plus inquiétant que je crée un kata. Mais j'ai travaillé beaucoup de kata auprès de Mochizuki sensei et j'ai un peu participé à la création de son kata final: le sutemi waza no kata. Et je perçois un besoin dans le monde pour un enseignement de la légitime défense contre armes à feu. C'est un sujet très spécifique mais j'espère que ce cours aura un effet positif dans notre société. Récemment, plusieurs femmes d'une école de yoga ont tenté de résister à un tireur. Elles ont réussi à lutter avec lui, mais certaines sont mortes et je crois qu'il s'est ensuite suicidé. Compte tenu de la durée et de l’efficacité de leur lutte, je pense qu’une technique de prise de pistolet aurait été efficace et aurait neutralisé le pouvoir du tireur. Je pense donc qu’il est raisonnable que des personnes responsables de la sécurité d’un grand nombre d’enfants dans un cadre public s’entraînent à ces techniques d’urgence. Moshe Feldenkrais a créé un manuel d'autodéfense pour les civils britanniques confrontés à une éventuelle invasion nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Et je pense que la violence que nous avons vue mérite une formation similaire. Donc, en développant ce kata, j'ai passé en revue toutes mes anciennes ressources et j'ai également regardé le goshinjutsu no kata du Kodokan.


 Happo Ken no Kata du Yoseikan

Ayant travaillé de nombreuses années avec Mochizuki sensei sur l'évolution de ses kata, j'ai acquis une certaine connaissance de la façon dont les kata sont construits et modifiés. Ils doivent être aussi fondamentaux que possible, traiter les principes purs avec une technique honnête. Avec beaucoup d'expérience dans ces méthodes, j'ai choisi de créer ce kata à des fins éducatives. D'une certaine façon le Yoseishin est mon école, et ce kata est ce qui la différencie du Yoseikan. En outre, il contient certains éléments qui relèvent de l'esprit du Gyokushin.


Ainsi, avec l'approche gyokurei de l'enseignement, j'enseigne également le rei no kamae, la position zéro, qui est une forme plus naturelle de shizentai (position naturelle). C'est la position que prend votre corps lorsque vous êtes complètement absorbé par quelque chose, comme regarder une belle peinture dans un musée. Vouz oubliez que vous êtes là, que tout doit être protégé ou gardé. C'estd e ce point que je commence à enseigner l'Aïkido. Si une menace approche lorsque vous êtes dans cet état, vous gérez les impulsions de combat ou de fuite pour maintenir cette position droite et haute jusqu'à ce que la nature de la menace soit comprise. Cette position et cette attitude de départ (zéro) ne donnent aucune information à un attaquant. Toute attaque est une transaction et fait suite à un échange. Lors d'une attaque, cet échange est physique, commençant par un langage corporel agressif. Pour que la transaction se poursuive, vous devez répondre avec une combinaison de communication verbale et non-verbale. Le maintien de cette position Zéro signifie qu'aucune réponse non-verbale n'est proposée, ce qui gâche immédiatement la transaction. Les criminels répètent ces choses comme De Niro dans Taxi Driver. Une absence de réponse leur compkqieu la tâche. Et l'absence de réponse, même dans le langage corporel, affecte leur conscience subconsciente et affaiblit leur congruence mentale. En supposant une courte série de signaux de langage corporel agressifs sans réponse, l'attaquant peut lancer son attaque physique en dehors du timing qu'il voulait construire avec la transaction du langage corporel. En restant immobile en rei no kamae, vous le forcez à attaquer uniquement la zone où vous vous trouvez. Et quand il attaque en se concentrant sur cela, le rei no kamae vous permet de déplacer le corps rapidement dans n'importe quelle direction et d'appliquer tout son poids dans cette direction. Il est également plus facile de tourner dans cette position étroite et haute que dans une position plus large. Cette position affecte la congruence mentale et la confiance de l'attaquant à plusieurs niveaux. Déplacer la cible lorsqu'il traverse le ma-ai, sortir de son tunnel de vision, tourner son corps et le déséquilibrer divise son corps et son esprit alors qu'il essaie de donner un sens au soudain changement total.

Dans le travail cinématographique, j'essaie de développer quelque chose avec une vision plus vraie de la vie d'un artiste martial sans se reposer sur la violence. Budo signifie arrêter la violence. La projection d'images d'hyper-violence ne correspond pas à cela. De plus, les types de scénarios qui développent des personnages si inhumains qu'il est acceptable de les énucléer sont vraiment opposés au type d'esprit que nous devons développer actuellement. Toute la terre est désormais connue. Il n'y a plus réellement de frontière. L'expansion humaine a fait le tour du monde dans les deux sens et il n'y a plus de nouveaux territoires pour lesquels se battre, donc depuis vingt ans, nous nous contentons de nous battre. Nous devons donc trouver une nouvelle frontière à un autre niveau dimensionnel appelé « humanité » pour sauver le monde naturel ou, semble-t-il, nous aurons un conflit final qui rendra la terre inhabitable pour les humains. Les gens prêts à risquer cela ont une richesse inimaginable mais ne comprennent pas que même leur richesse ne peut les sauver de leur propre folie. Je suis donc intéressé à explorer cette zone de connexion humaine. Et c'est mon but dans le budo Yoseishin. 

Retrouvez la première partie  et la deuxième partie 

Commentaires

David a dit…
Xavier,
Je voulais vous remercier pour le long effort que vous avez déployé pour traduire ma longue interview en français et la publier en anglais et en français pour vos lecteurs. Je suppose que vous savez que cela a été largement partagé. Mochizuki sensei est le père de nombreuses organisations et la source de nombreux systèmes, mais il est éloigné de plus d'une génération et les gens sont très intéressés par lui et son vaste travail. Je suis heureux d'avoir pu partager ce que je savais de lui avec le monde entier.
Un profond respect pour vous et votre famille et tout votre travail dans les arts martiaux.

David

Articles les plus consultés