Vos filtres vous empêchent de progresser


« Le plus important est votre ouverture d’esprit, littéralement.
Si vous voulez changer votre façon de bouger, votre cerveau doit être flexible. C’est pareil dans le milieu des affaires, les plus grands CEO doivent aussi faire preuve de flexibilité. Les gens qui sont très bons dans leur ce qu’ils font ne sont pas juste intelligents. Ils sont aussi très flexibles »
Akuzawa Minoru, Yashima numéro 2, septembre 2018



Les pratiques martiales sont aussi riches que diverses et s’il existe un grand nombre de pratiquants de bon niveau, rares sont les adeptes ayant atteint le plus haut niveau de maitrise, démontrant parfois un travail semblant irréel aux yeux des néophytes, à la limite du charlatanisme, ou au contraire… pas si différent de ce qu’eux-mêmes ou leurs professeurs font. Et pourtant…

Nous venons tous avec notre propre bagage et nos préconceptions, issues de notre expérience personnelle. Comment accepter qu’un adepte puisse projeter un pratiquant deux fois plus jeune, plus grand, plus fort, sans effort apparent sans avoir soi-même expérimenté un tel niveau de pratique ?

« Nous aussi on fait ça »

Cette phrase est pour moi l’une des plus dangereuses que l’on puisse entendre sur les tatamis ou en dehors. Dangereuse non pas parce qu’elle peut amener à des blessures graves, mais parce qu’elle pose une limite claire à ce que le pratiquant peut apprendre. S’il est utile de voir des similarités et de faire des liens entre différentes pratiques pour mieux les comprendre, il est beaucoup plus gênant de ne pas voir ce qui les sépare dans leur essence. Voir les différences entre deux pratiques ne veut pas dire les juger ou les comparer, mais les regarder objectivement pour comprendre ce qui fait leurs spécificités, qu’elles soient corporelles, stratégiques ou tactiques. Derrière l’illusion de la similarité se cache l’incapacité à accueillir une idée nouvelle, et à l’explorer en profondeur.

Pratiquant depuis maintenant quelques années des disciplines dont le travail corporel est très spécifique (en l’occurrence l’Aunkai et l’Aïkido Kishinkai), je ne peux que lever les yeux au ciel quand j’entends des pratiquants regarder la pratique d’un adepte tel qu’Akuzawa sensei et la trouver finalement assez proche de ce qu’ils font dans leur dojo. S’il existe effectivement une poignée d’adeptes capables de ces prouesses et utilisant possiblement des principes similaires, j’avoue n’avoir personnellement jamais rencontré personne s’en approchant.

Il est naturel de se rattacher à ce que l’on connait, pourtant nos filtres sont notre plus grand ennemi. Il sera facile de trouver un adepte médiocre, simplement parce qu’il n’utilisera pas une façon de faire que nous jugeons comme la seule valable. Parmi les adeptes de très haut niveau que j’ai la chance de voir régulièrement, Akuzawa Minoru, Léo Tamaki et Maul Mornie, tous trois utilisent des méthodes extrêmement différentes, allant parfois même dans des directions opposées, bien au-delà de la simple apparence visuelle de leurs techniques. J’aurais personnellement pu aller au cours de Léo Tamaki en voulant y faire de l’Aunkai, et revenir déçu du manque de connexions internes de ses élèves. J’aurais également perdu une occasion d’apprendre quelque chose. 

Comprendre ce qui fait le cœur de la pratique des plus grands est la clé pour avancer.


« Ah oui, tu utilises xxx »

De la même manière, il est facile, et peu constructif, de chercher à comprendre les éléments d’une pratique différente de la nôtre avec des filtres inadaptés. J’entends personnellement très régulièrement des remarques comme « ça marche parce que tu engages plus de fibres musculaires », « ça marche parce que tu vas vite », etc. Des remarques qui s’avèrent systématiquement être… fausses, mais également révélatrices d’une façon de penser et de voir le monde. Paradigme qu’il nous faudra briser pour aller de l’avant.

« L’essentiel est invisible pour les yeux » disait Saint Exupéry. A nous de faire notre cette devise et d’aller au-delà des apparences.





Apprendre à apprendre

Apprendre ne demande pas tant un talent particulier qu’une capacité à … désapprendre. Savoir sortir de notre zone de confort pour explorer l’inconnu et accepter toute idée nouvelle comme un débutant. Avoir des préjugés sur le contenu n’est qu’un obstacle à l’apprentissage.



Je perçois depuis longtemps la pratique martiale comme quelque chose d’austère, bien loin des techniques chiadées et spectaculaires des démonstrations proposées au grand public. Car si c’est ce que le public voit, la vie du pratiquant est faite de remises en question perpétuelles. Ce que nous pensions vrai hier pourra s’avérer avoir été une erreur et avoir la flexibilité mentale d’accepter une idée totalement différente est essentiel. C’est un processus par lequel je passe régulièrement, changeant ma pratique et mon approche du tout au tout à chaque nouvelle illumination, forçant mes élèves à désapprendre tout autant qu’à apprendre.

Apprendre demande aussi une capacité à déconstruire l’information. La pratique des plus grands adeptes est difficilement compréhensible au premier coup d’œil et être capable de repérer les éléments clés qui leur donnent cette saveur si particulière est un moyen efficace pour essayer de s’en rapprocher. Ce sujet lui-même mériterait plus qu’un simple article de blog et est d’ailleurs l’objet de nombreux ouvrages parmi lesquels ceux de Tim Ferriss et Josh Waitzkin que je recommande tout particulièrement.


En conclusion, soyez ouverts, curieux, et portez un œil neuf sur ce qui vous est proposé. Certaines pratiques vous parleront moins que d’autres et c’est tout naturel, mais vous ne le saurez qu’après les avoir vues et explorées pour ce qu’elles sont.


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