Paroles d'experts - Richard Folny
Richard pratique le Nihon Tai Jitsu depuis 30 ans. 6e dan et expert régional, enseignant à Saint Jean de Luz et responsable de la région Aquitaine, il est aussi certainement le plus proche élève de Roland Hernaez. Mais Richard est avant tout un pratiquant passionné et toujours en recherche. J'avais déjà parlé de lui sur ce blog et Nicolas Lorber a publié un excellente interview de Richard ici.
1) As tu une routine matinale (liée ou non aux arts martiaux) ?
Oui, j’ai une pré- routine matinale. Elle va sembler « un peu fleur bleue », mais pour moi elle est fondamentale : je dis bonjour la vie.
Après le petit déjeuner, 4 fois par semaine je m’étire pendant 45 minutes et je pratique la première position de base de l’Aunkai que m’a montrée Xavier lors d’un échange très fructueux sur les comparaisons de nos pratiques. Enfin je termine par un travail en sensation, plus interne pour construire des « lignes » de force sur les chaînes musculaires. Lorsque je ne peux pas pratiquer le matin, j’essaie en fin d’après midi.
2) Si tu avais seulement 10 minutes pour pratiquer, que ferais-tu ?
Je commencerais par choisir une technique du kihon waza. Je la pratiquerais seul pendant cinq minutes en essayant de placer correctement les segments corporels, en y mettant ensuite de l’intention et de la conscience dans ce qui est fait. Puis pendant le reste du temps je créerais une situation de résolution de problème à l’aide d’un scénario de self défense. Je me pencherais alors sur différentes opportunités que m’offre la technique choisie.
Cette démarche est importante puisque les psychomotriciens ont prouvé de façon scientifique que les aires du cerveau qui sont activées lors de la pensée du geste et celles du geste effecteur lui-même sont les mêmes…cela permet de créer des « chemins » sur lesquels le cerveau va pouvoir « boucler » afin de trouver une réponse à la situation dans laquelle on se trouve. En plus ces chemins se créent physiquement, c’est le phénomène appelé plasticité neuronale. C'est-à-dire que l’on peut littéralement les voir à l’IRM. Il serait dommage de connaître ces outils et de se…priver de leur utilité !
Pour la petite anecdote Maître Hernaez en parlant à Maître Mochizuki lui demandait comment on pouvait pratiquer efficacement. Ce dernier répondit qu’en marchant dans la rue, par exemple, en tenant compte de l’environnement si une agression survenait, il fallait penser à ce que l’on pourrait faire…sans tomber dans une pathologie aiguë (depuis que j’ai été voir un psy, nous allons mieux…). Tirez-en les conclusions nécessaires…
3) Quel est le meilleur investissement que tu aies fait sur toi-même ? Sur d'autres ?
Il me semble que c’est avoir été constant dans les efforts. J’ai la chance d’avoir un métier que j’aime, mais qui me laisse du temps pour pratiquer. Les Budo sont une voie de l’Excellence. Aussi pour l’instant ils occupent une grande part de mon existence, et ceci depuis trente ans, avoir parfois des périodes frisant…la paranoïa ! Néanmoins pour approfondir ses connaissances, il faut lire comprendre, pratiquer, aller en stage, se confronter à d’autres. Pour moi, ces processus sont chronophages. Cela ne veut pas dire que j’ai atteins l’excellence, j’ai juste la sensation d’avancer…à mon rythme.
Sur d'autres, c’est avoir la patience d’enseigner. J’ai dans mon club un « noyau dur » d’élèves avancés qui suivent mon enseignement depuis plus de dix ans, qui sont là pour la plupart à toutes les séances. Ils se corrigent, suivent les conseils, avancent. Si ils n’étaient pas présents, je pense que je ne donnerais plus de cours. Ils ont suivi l’évolution de ma pratique,…ils sont toujours avec moi. Ils y ont trouvé leur compte. D’autres venant de plus loin ont raccroché les wagons au train déjà en route. C’est très gratifiant, c’est aussi une belle aventure humaine.
4) À ton avis, quelles sont les principales erreurs que font les gens lorsqu'ils pratiquent? Au contraire quels sont les éléments que tu penses être facile pour les gens dés le début de la pratique.
Au départ, les gens sont pressés d’apprendre une multitude de choses. C’est normal, c’est nouveau, alors il faut foncer. Pour cela on pense qu’il faut travailler vite et fort. En fait, il faut s’écouter et travailler lentement. Pas tout le temps, mais suffisamment pour sentir ce que « nous raconte » notre corps.
Puis il ya le fameux, c’est mon partenaire et ami, lorsque je l’attaque, je le fais avec du tact, sans vouloir l’offenser. Parfois je frappe…à coté pour ne pas lui faire mal. Sacrée éducation…contre laquelle il faut lutter…pour être sincère !
Le manque de constance dans la pratique, il me semble que c’est une erreur. Pas technique, mais du point de vue des apprentissages. Bien sûr, je ne jette pas la pierre aux pratiquants qui ont une vie professionnelle et familiale bien remplie. Je pense à ceux dont la petite voix dit « pas aujourd’hui, le prochain coup ! ». Ils passent à coté de quelque chose. Mais j’avoue que cela m’est aussi arrivé ! Mais en luttant on peut passer outre.
Enfin, il y a le correcteur, celui qui corrige tout le monde sur le mouvement qui n’est pas montré .
Les éléments qui facilitent l’apprentissage sont cette fraîcheur et cette méconnaissance de l’Art Martial.
Cette fraîcheur parce que rien n’est imprimé encore chez le débutant. Par contre, celui qui a pratiqué autre chose crée des ponts ou des liens avec ce qu’il sait déjà faire.
Il reste encore tout à découvrir. La curiosité est un grand levier pour la motivation. C’est comme si je disais : « Xavier, tu veux que je te montre un truc ? »
5) Est-ce qu'une situation d'échec que tu as rencontré dans le passé t'a aidé à devenir meilleur dans ce que tu fais? As-tu un échec préféré que tu pourrais partager ?
Oui, cela a été le cas. Dire que c’est mon échec préféré ne serait pas réellement la formule appropriée ! et je n’en suis pas fier.
C’était en stage national à Madrid. Maître Hernaez m’avait demandé de diriger ce stage avec lui. On avait chacun un groupe pour la journée, et le lendemain les groupes étaient échangés.
Je montre une technique de self defense, je demande à une personne dans l’assemblée de me servir de Uke. Au moment de placer ma technique, je sens un blocage. Je pense que personne n’a relevé. Mais avec plein de tact Uke m’a regardé dans les yeux en voulant dire : « y’à un problème là, non ? ». Et là je me suis dis que se passe-t-il ? Deux solutions, soit tu te dis c’est qui lui pour me faire ça. Ou qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? A la fin du stage j’ai été le voir pour comprendre. Il m’a dit qu’il connaissait quelqu’un qui pourrait me faire avancer. Et j’ai pris ma voiture, plein d’appréhension pour faire la connaissance de José Pérez de l’Ecole Mochizuki. José m’a accueilli au Dojo Takilia avec cette simplicité qui m’a beaucoup touché. Depuis je travaille avec lui depuis presque quatre ans et ma pratique a connu un nouveau souffle.
6) Quand tu atteins une période de stagnation, ou un plafond dans ta pratique, comment passes-tu ce cap ?
Cela m’est arrivé plusieurs fois. Mais la plus grande a été après mon passage du 5ème Dan. J’ai eu la sensation de stagner, de ne plus avancer, d’avoir fait le tour de la méthode. Ce qui n’est heureusement pas le cas ! Il me semblait être enfermé dans un système technico-technicien. (Ce qui m’a coûté ce waki gatame en Espagne, j’en suis le seul responsable).
Quand cela m’arrive, je reprends les fondamentaux : les techniques de base. Je fais varier les situations. En ayant une conscience aigüe des manques, on peut y remédier. Pour cela il faut beaucoup d’expérience et de pratique. On comble ainsi ce qui ne va pas…Mais on rencontre d’autres problèmes, et cela « s’auto alimente ».
J’ai aussi une présence à mes côtés depuis 25 ans, c’est mon épouse. Elle m’a déjà botté l’endroit sur lequel je suis assis…avec beaucoup de compassion (!!!) en me disant que pour remercier Sensei Hernaez pour ce qu’il a fait pour moi, je ne devais pas m’arrêter. Elle a toujours eu raison et si j’en suis là, je lui dois en partie, ainsi qu’à mes parents, mes enfants et mon frère qui, dans ma pratique ont toujours porté de l’intérêt.
Ca aide énormément. La stagnation n’est pas que technique.
Et puis j’ai des amis extraordinaires, Serge Rebois qui est devenu un frère d’arme avec qui on échange énormément. Grès Grégoire qui a été là dans les moments de doute. Lionel Froidure, qui m’a fait confiance. Tous mes élèves, notamment les anciens, les gens que l’on croise sur les tatami, parfois juste un regard. Tout cela me fait avancer.
Difficile de tout porter tout seul.
7) Quelle est la question qu'on ne te pose jamais et que tu aimerais qu'on te pose ?
Bonne question : enseignes-tu comme au début ?
La réponse est non. Je suis dans un phase où des outils me sont nécessaires. Il n’est plus question pour moi d’enseigner une collection de techniques de façon encyclopédique. Maître Hernaez a accompli au cours des 50 années écoulées un formidable travail de transmission avec une telle dépense d’énergie que le Nihon Tai Jitsu est reconnu au niveau international.
J’ai eu la chance que Senseï Hernaez ait fait son dernier stage régional chez moi à Saint Jean de Luz. En me quittant pour rentrer chez lui, il m’a dit « Que vous le vouliez ou non, c’est à votre génération maintenant de faire avancer la machine. Vous possédez des outils que je n’ai pas, servez vous-en ».
Que faire à l’aube de 2018, comment transmettre, SANS ALTERER, le message qu’il nous laissé ?
J’ai redéfini les contours de ma pratique.
Le premier outil porte sur les savoirs.
Redonner un cadre au Nihon Tai Jitsu par de la théorie, notamment sur la biomécanique et sur l’utilisation correcte du corps. Sur des techniques d’apprentissage et les émotions.
Le deuxième outil porte sur les savoirs faire.
En effet il faut bien mettre en application ces savoirs : en utilisant du mouvement, donc des stratégies particulières propres au combat, en utilisant les principes tsukuri, kusushi, kaké.
Ce ne sont là que des applications et des exercices.
Le troisième outil est celui des savoir être.
Il se décompose en vouloir faire, c'est-à-dire trouver la capacité a mettre en ouvre tout ce qui a été vu précédemment, et en pouvoir faire. Cette barrière est certainement la plus difficile à lever puisqu’il faut lutter contre notre éducation de la bienséance, contre notre stress, contre nos limites. Aller de l’explicite vers l’implicite!
Voilà, mais tout cela à partir du Nihon Tai Jitsu. Ne pas tout mélanger, conserver notre histoire, la rendre actuelle pour qu’elle puisse vivre aujourd’hui et préparer demain.
8) Quels conseils donnerais-tu à une version plus jeune de toi-même ?
Je ne suis Maître en rien, champion de rien. Je ne suis instructeur d’aucune force spéciale. Je ne suis pas non plus le créateur d’une méthode particulière supérieure aux autres ou non. Je suis juste un enseignant honnête, passionné par ce qu’il fait et ayant envie de poursuivre le travail mis en place par Sensei Hernaez à qui je dois beaucoup, voire plus !
Je ne vais rien inventer. Alors en premier je me dirais « Sois patient».
En effet, lors de l’apprentissage, on revient 7 fois sur une notion.
La première, lorsqu’on la découvre pour la première fois.
La seconde lorsque l’enseignant l’explique.
La troisième lorsqu’on la travaille pour la comprendre.
La quatrième lorsqu’on l’applique.
La cinquième lorsqu’on prépare une évaluation ou un passage de grade.
La sixième fois lors de l’évaluation ou du passage de grade.
La septième fois lors du débriefing, c’est l’étape la plus IMPORTANTE car elle permet de mesurer le décalage entre les compétences attendues et celles réalisées. Une fois acquises ces compétences apprises deviennent des routines et permettent au lobe préfrontal de libérer d’autres ressources. On peut alors envisager des changements de paramètres, la gestion du stress etc…Là, seulement, le vrai travail commence…donc patience.
En deuxième je me dirais « Sois méthodique ».
En effet programmer son cerveau pour pratiquer de façon régulière permet de faire des progrès. D’où l’importance des rituels. Et c’est vrai qu’avec l’expérience, lorsque l’on sait où on veut aller, c’est plus facile de se faire une progression pertinente en laissant aussi des places pour l’imprévu.
Puis « Sois persévérant ».
Je commencerai par une petite histoire de sagesse. Un jour, un groupe de grenouilles regardait une de leur congénère essayer de grimper à un arbre. Bien sûr, toutes lui hurlaient que c’était impossible, que la nature d’une grenouille n’était pas de grimper à un arbre…Puis fatiguées, elles se lassèrent. Finalement la grenouille finit par grimper. En fait, elle était…sourde !
Est-il besoin de développer plus ?
Il y a une phrase de Sensei André Cognard qui me vient à l’esprit : La voie, c’est facile, c’est avancer plus loin, plus haut. Et quand on arrive au bout du bout, alors il faut faire un pas de plus.
« Sois humain ».
Il y a un proverbe qui dit « Si tu veux comprendre quelqu’un, mets ses chaussures et parcours son chemin.». Essayer de comprendre les autres est quelque chose de difficile. Tous ceux qui ne pensent pas de la même façon que nous semblent dangereux. Sacré ego.
Dans un monde où l’intolérance est de mise, on ne prend plus le temps de remettre la femme, l’homme au centre de nos préoccupations.
Alors à mon petit niveau, si je peux aider les gens en donnant de la connaissance en transmettant ce que l’on m’a donné, je le fais bien volontiers.
Pour finir « Sois libre ».
Les Maîtres nous ont laissé un héritage qui n’a pas de prix pour nous emmener vers cette Liberté, alors rendons leur hommage en donnant le meilleur de nous-mêmes.
Merci Xavier pour avoir pris du temps pour publier cette interview.
1) As tu une routine matinale (liée ou non aux arts martiaux) ?
Oui, j’ai une pré- routine matinale. Elle va sembler « un peu fleur bleue », mais pour moi elle est fondamentale : je dis bonjour la vie.
Après le petit déjeuner, 4 fois par semaine je m’étire pendant 45 minutes et je pratique la première position de base de l’Aunkai que m’a montrée Xavier lors d’un échange très fructueux sur les comparaisons de nos pratiques. Enfin je termine par un travail en sensation, plus interne pour construire des « lignes » de force sur les chaînes musculaires. Lorsque je ne peux pas pratiquer le matin, j’essaie en fin d’après midi.
2) Si tu avais seulement 10 minutes pour pratiquer, que ferais-tu ?
Je commencerais par choisir une technique du kihon waza. Je la pratiquerais seul pendant cinq minutes en essayant de placer correctement les segments corporels, en y mettant ensuite de l’intention et de la conscience dans ce qui est fait. Puis pendant le reste du temps je créerais une situation de résolution de problème à l’aide d’un scénario de self défense. Je me pencherais alors sur différentes opportunités que m’offre la technique choisie.
Cette démarche est importante puisque les psychomotriciens ont prouvé de façon scientifique que les aires du cerveau qui sont activées lors de la pensée du geste et celles du geste effecteur lui-même sont les mêmes…cela permet de créer des « chemins » sur lesquels le cerveau va pouvoir « boucler » afin de trouver une réponse à la situation dans laquelle on se trouve. En plus ces chemins se créent physiquement, c’est le phénomène appelé plasticité neuronale. C'est-à-dire que l’on peut littéralement les voir à l’IRM. Il serait dommage de connaître ces outils et de se…priver de leur utilité !
Pour la petite anecdote Maître Hernaez en parlant à Maître Mochizuki lui demandait comment on pouvait pratiquer efficacement. Ce dernier répondit qu’en marchant dans la rue, par exemple, en tenant compte de l’environnement si une agression survenait, il fallait penser à ce que l’on pourrait faire…sans tomber dans une pathologie aiguë (depuis que j’ai été voir un psy, nous allons mieux…). Tirez-en les conclusions nécessaires…
3) Quel est le meilleur investissement que tu aies fait sur toi-même ? Sur d'autres ?
Il me semble que c’est avoir été constant dans les efforts. J’ai la chance d’avoir un métier que j’aime, mais qui me laisse du temps pour pratiquer. Les Budo sont une voie de l’Excellence. Aussi pour l’instant ils occupent une grande part de mon existence, et ceci depuis trente ans, avoir parfois des périodes frisant…la paranoïa ! Néanmoins pour approfondir ses connaissances, il faut lire comprendre, pratiquer, aller en stage, se confronter à d’autres. Pour moi, ces processus sont chronophages. Cela ne veut pas dire que j’ai atteins l’excellence, j’ai juste la sensation d’avancer…à mon rythme.
Sur d'autres, c’est avoir la patience d’enseigner. J’ai dans mon club un « noyau dur » d’élèves avancés qui suivent mon enseignement depuis plus de dix ans, qui sont là pour la plupart à toutes les séances. Ils se corrigent, suivent les conseils, avancent. Si ils n’étaient pas présents, je pense que je ne donnerais plus de cours. Ils ont suivi l’évolution de ma pratique,…ils sont toujours avec moi. Ils y ont trouvé leur compte. D’autres venant de plus loin ont raccroché les wagons au train déjà en route. C’est très gratifiant, c’est aussi une belle aventure humaine.
4) À ton avis, quelles sont les principales erreurs que font les gens lorsqu'ils pratiquent? Au contraire quels sont les éléments que tu penses être facile pour les gens dés le début de la pratique.
Au départ, les gens sont pressés d’apprendre une multitude de choses. C’est normal, c’est nouveau, alors il faut foncer. Pour cela on pense qu’il faut travailler vite et fort. En fait, il faut s’écouter et travailler lentement. Pas tout le temps, mais suffisamment pour sentir ce que « nous raconte » notre corps.
Puis il ya le fameux, c’est mon partenaire et ami, lorsque je l’attaque, je le fais avec du tact, sans vouloir l’offenser. Parfois je frappe…à coté pour ne pas lui faire mal. Sacrée éducation…contre laquelle il faut lutter…pour être sincère !
Le manque de constance dans la pratique, il me semble que c’est une erreur. Pas technique, mais du point de vue des apprentissages. Bien sûr, je ne jette pas la pierre aux pratiquants qui ont une vie professionnelle et familiale bien remplie. Je pense à ceux dont la petite voix dit « pas aujourd’hui, le prochain coup ! ». Ils passent à coté de quelque chose. Mais j’avoue que cela m’est aussi arrivé ! Mais en luttant on peut passer outre.
Enfin, il y a le correcteur, celui qui corrige tout le monde sur le mouvement qui n’est pas montré .
Les éléments qui facilitent l’apprentissage sont cette fraîcheur et cette méconnaissance de l’Art Martial.
Cette fraîcheur parce que rien n’est imprimé encore chez le débutant. Par contre, celui qui a pratiqué autre chose crée des ponts ou des liens avec ce qu’il sait déjà faire.
Il reste encore tout à découvrir. La curiosité est un grand levier pour la motivation. C’est comme si je disais : « Xavier, tu veux que je te montre un truc ? »
5) Est-ce qu'une situation d'échec que tu as rencontré dans le passé t'a aidé à devenir meilleur dans ce que tu fais? As-tu un échec préféré que tu pourrais partager ?
Oui, cela a été le cas. Dire que c’est mon échec préféré ne serait pas réellement la formule appropriée ! et je n’en suis pas fier.
C’était en stage national à Madrid. Maître Hernaez m’avait demandé de diriger ce stage avec lui. On avait chacun un groupe pour la journée, et le lendemain les groupes étaient échangés.
Je montre une technique de self defense, je demande à une personne dans l’assemblée de me servir de Uke. Au moment de placer ma technique, je sens un blocage. Je pense que personne n’a relevé. Mais avec plein de tact Uke m’a regardé dans les yeux en voulant dire : « y’à un problème là, non ? ». Et là je me suis dis que se passe-t-il ? Deux solutions, soit tu te dis c’est qui lui pour me faire ça. Ou qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? A la fin du stage j’ai été le voir pour comprendre. Il m’a dit qu’il connaissait quelqu’un qui pourrait me faire avancer. Et j’ai pris ma voiture, plein d’appréhension pour faire la connaissance de José Pérez de l’Ecole Mochizuki. José m’a accueilli au Dojo Takilia avec cette simplicité qui m’a beaucoup touché. Depuis je travaille avec lui depuis presque quatre ans et ma pratique a connu un nouveau souffle.
6) Quand tu atteins une période de stagnation, ou un plafond dans ta pratique, comment passes-tu ce cap ?
Cela m’est arrivé plusieurs fois. Mais la plus grande a été après mon passage du 5ème Dan. J’ai eu la sensation de stagner, de ne plus avancer, d’avoir fait le tour de la méthode. Ce qui n’est heureusement pas le cas ! Il me semblait être enfermé dans un système technico-technicien. (Ce qui m’a coûté ce waki gatame en Espagne, j’en suis le seul responsable).
Quand cela m’arrive, je reprends les fondamentaux : les techniques de base. Je fais varier les situations. En ayant une conscience aigüe des manques, on peut y remédier. Pour cela il faut beaucoup d’expérience et de pratique. On comble ainsi ce qui ne va pas…Mais on rencontre d’autres problèmes, et cela « s’auto alimente ».
J’ai aussi une présence à mes côtés depuis 25 ans, c’est mon épouse. Elle m’a déjà botté l’endroit sur lequel je suis assis…avec beaucoup de compassion (!!!) en me disant que pour remercier Sensei Hernaez pour ce qu’il a fait pour moi, je ne devais pas m’arrêter. Elle a toujours eu raison et si j’en suis là, je lui dois en partie, ainsi qu’à mes parents, mes enfants et mon frère qui, dans ma pratique ont toujours porté de l’intérêt.
Ca aide énormément. La stagnation n’est pas que technique.
Et puis j’ai des amis extraordinaires, Serge Rebois qui est devenu un frère d’arme avec qui on échange énormément. Grès Grégoire qui a été là dans les moments de doute. Lionel Froidure, qui m’a fait confiance. Tous mes élèves, notamment les anciens, les gens que l’on croise sur les tatami, parfois juste un regard. Tout cela me fait avancer.
Difficile de tout porter tout seul.
7) Quelle est la question qu'on ne te pose jamais et que tu aimerais qu'on te pose ?
Bonne question : enseignes-tu comme au début ?
La réponse est non. Je suis dans un phase où des outils me sont nécessaires. Il n’est plus question pour moi d’enseigner une collection de techniques de façon encyclopédique. Maître Hernaez a accompli au cours des 50 années écoulées un formidable travail de transmission avec une telle dépense d’énergie que le Nihon Tai Jitsu est reconnu au niveau international.
J’ai eu la chance que Senseï Hernaez ait fait son dernier stage régional chez moi à Saint Jean de Luz. En me quittant pour rentrer chez lui, il m’a dit « Que vous le vouliez ou non, c’est à votre génération maintenant de faire avancer la machine. Vous possédez des outils que je n’ai pas, servez vous-en ».
Que faire à l’aube de 2018, comment transmettre, SANS ALTERER, le message qu’il nous laissé ?
J’ai redéfini les contours de ma pratique.
Le premier outil porte sur les savoirs.
Redonner un cadre au Nihon Tai Jitsu par de la théorie, notamment sur la biomécanique et sur l’utilisation correcte du corps. Sur des techniques d’apprentissage et les émotions.
Le deuxième outil porte sur les savoirs faire.
En effet il faut bien mettre en application ces savoirs : en utilisant du mouvement, donc des stratégies particulières propres au combat, en utilisant les principes tsukuri, kusushi, kaké.
Ce ne sont là que des applications et des exercices.
Le troisième outil est celui des savoir être.
Il se décompose en vouloir faire, c'est-à-dire trouver la capacité a mettre en ouvre tout ce qui a été vu précédemment, et en pouvoir faire. Cette barrière est certainement la plus difficile à lever puisqu’il faut lutter contre notre éducation de la bienséance, contre notre stress, contre nos limites. Aller de l’explicite vers l’implicite!
Voilà, mais tout cela à partir du Nihon Tai Jitsu. Ne pas tout mélanger, conserver notre histoire, la rendre actuelle pour qu’elle puisse vivre aujourd’hui et préparer demain.
8) Quels conseils donnerais-tu à une version plus jeune de toi-même ?
Je ne suis Maître en rien, champion de rien. Je ne suis instructeur d’aucune force spéciale. Je ne suis pas non plus le créateur d’une méthode particulière supérieure aux autres ou non. Je suis juste un enseignant honnête, passionné par ce qu’il fait et ayant envie de poursuivre le travail mis en place par Sensei Hernaez à qui je dois beaucoup, voire plus !
Je ne vais rien inventer. Alors en premier je me dirais « Sois patient».
En effet, lors de l’apprentissage, on revient 7 fois sur une notion.
La première, lorsqu’on la découvre pour la première fois.
La seconde lorsque l’enseignant l’explique.
La troisième lorsqu’on la travaille pour la comprendre.
La quatrième lorsqu’on l’applique.
La cinquième lorsqu’on prépare une évaluation ou un passage de grade.
La sixième fois lors de l’évaluation ou du passage de grade.
La septième fois lors du débriefing, c’est l’étape la plus IMPORTANTE car elle permet de mesurer le décalage entre les compétences attendues et celles réalisées. Une fois acquises ces compétences apprises deviennent des routines et permettent au lobe préfrontal de libérer d’autres ressources. On peut alors envisager des changements de paramètres, la gestion du stress etc…Là, seulement, le vrai travail commence…donc patience.
En deuxième je me dirais « Sois méthodique ».
En effet programmer son cerveau pour pratiquer de façon régulière permet de faire des progrès. D’où l’importance des rituels. Et c’est vrai qu’avec l’expérience, lorsque l’on sait où on veut aller, c’est plus facile de se faire une progression pertinente en laissant aussi des places pour l’imprévu.
Puis « Sois persévérant ».
Je commencerai par une petite histoire de sagesse. Un jour, un groupe de grenouilles regardait une de leur congénère essayer de grimper à un arbre. Bien sûr, toutes lui hurlaient que c’était impossible, que la nature d’une grenouille n’était pas de grimper à un arbre…Puis fatiguées, elles se lassèrent. Finalement la grenouille finit par grimper. En fait, elle était…sourde !
Est-il besoin de développer plus ?
Il y a une phrase de Sensei André Cognard qui me vient à l’esprit : La voie, c’est facile, c’est avancer plus loin, plus haut. Et quand on arrive au bout du bout, alors il faut faire un pas de plus.
« Sois humain ».
Il y a un proverbe qui dit « Si tu veux comprendre quelqu’un, mets ses chaussures et parcours son chemin.». Essayer de comprendre les autres est quelque chose de difficile. Tous ceux qui ne pensent pas de la même façon que nous semblent dangereux. Sacré ego.
Dans un monde où l’intolérance est de mise, on ne prend plus le temps de remettre la femme, l’homme au centre de nos préoccupations.
Alors à mon petit niveau, si je peux aider les gens en donnant de la connaissance en transmettant ce que l’on m’a donné, je le fais bien volontiers.
Pour finir « Sois libre ».
Les Maîtres nous ont laissé un héritage qui n’a pas de prix pour nous emmener vers cette Liberté, alors rendons leur hommage en donnant le meilleur de nous-mêmes.
Merci Xavier pour avoir pris du temps pour publier cette interview.
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