Les grades ? Ni pour ni contre, bien au contraire
La notion de grade dans les arts martiaux
japonais est difficile à éviter puisqu’elle crée de fait une hiérarchie entre
les pratiquants. Pourtant si cette hiérarchie semble claire a première vue (il
est meilleur, il a un plus haut grade), la réalité est loin d’être aussi évidente.
Il existe de nombreuses raisons d’obtenir
(ou non) un grade, et toutes ne sont pas d’ordres techniques. Il est donc
difficile de comparer deux pratiquants sur le simple critère de leurs grades respectifs. Que dire d’un Léo Tamaki qui n’affiche qu’un 4e dan,
grade relativement faible étant donné son niveau de pratique et ses qualités ?
Que dire des pratiquants de la première heure qui n’affichent qu’un premier dan
depuis quelques décennies ? Que leur niveau est inférieur à celui de leurs
pairs ? Au contraire, que penser des pratiquants qui affichent de hauts grades
mais dont la pratique est hésitante et sans saveur ? Que nous sommes
incapables de comprendre ce qu’ils font ? Peut-être faut-il simplement y
voir le fait qu’un grade représente seulement ce que l’on met dedans.
Pourquoi je passe mes grades ?
La pratique d’un art martial n’est pas linéaire.
Elle est faite de recherches, de rencontres, de découvertes. Mais aussi d’erreurs et de doutes. C’est à
travers ses erreurs que l’on apprend, mais le risque de prendre une mauvaise
direction et de s’enfoncer dans une impasse est toujours présent. Passer ses
grades est une manière de valider la direction choisie, de préférence auprès de
personnes qui vous connaissent et peuvent vous voir évoluer au long des années.
C’est pour cette raison que je passe mes grades au Japon car j’estime que les
dirigeants du Seibukan sont ceux qui voient ma pratique le plus régulièrement.
Pourquoi je ne passe pas mes grades en Aikido ?
Deux raisons à cela. La première c’est qu’être
6e kyu m’incite à l’humilité, à accepter mon statut d’éternel débutant.
C’est aussi un moyen de ne pas avoir de « statut » lors des
entrainements et donc de ne pas avoir un partenaire qui tombe parce qu’il « doit »
tomber. Ne pas avoir à s’occuper des grades permet de s’occuper de ce qui
compte : la pratique, et de laisser le reste de côté.
La deuxième raison est que si je devais un
jour passer mon shodan dans mon club d’Aikido, cela se ferait devant Endo
sensei, et malgré tout le respect que j’ai pour lui et sa pratique, je ne me
retrouve pas dans ce qu’il fait et obtenir un grade de sa part ne représenterait
donc rien pour moi. Dans d’autres groupes la question se poserait peut-être différemment.
A quoi ça sert un grade ?
Fred m’a fait réaliser que si je n’ai pas
besoin d’avoir un grade pour pratiquer, en avoir un peut servir à garder sa liberté
et à envoyer bouler les gens moins expérimentés qui viennent nous expliquer la
vie. J’ai certes la chance de vivre dans un endroit suffisamment reculé pour
pouvoir pratiquer sans ses contraintes, mais les cas de gens compétents et
titulaires d’un simple 1er dan qui se font snober par des
pratiquants pas plus qualifiés mais 5e dan m’ont fait réaliser qu’il
fallait mieux les passer, les mettre dans un coin et les garder sous le coude
au cas où.
Mais si un grade élevé offre une certaine liberté,
il amène aussi potentiellement son lot de responsabilités. Plus les grades sont
élevés et moins les pratiquants sont nombreux, donc plus les attentes sont
nombreuses. Et c’est normal, qu’on attende plus d’un 4e dan que d’un
1er dan, sinon à quoi bon ? J’attends personnellement d’un 1er
dan qu’il connaisse les bases techniques de son école et qu’il puisse commencer
à étudier sa stratégie et sa façon de faire. D’un 3-4e dan, j’attends
qu’il se soit approprié sa pratique et qu’il lui ait donné une direction. D’un
6e dan, j’attends que cette recherche soit (relativement) aboutie.
J’attends beaucoup de choses et j’ai
probablement tort. Car un grade c’est aussi souvent (et malheureusement) un élément
politique, qui récompense parfois un pratiquant médiocre en laissant de côté un
pratiquant plus doué. Les meilleurs techniciens ne sont pas forcément les
meilleurs politiciens et parfois savoir taper aux bonnes portes est plus rapide
que la sueur et les heures passées à l’entrainement. Mais au final ce qui compte,
c’est bien ce que l’on met soi-même derrière son bout de papier.
Commentaires
Et excellente conclusion...