Enseignement vs. pratique
Il est courant d’opposer enseignement et
pratique, dans le sens où nous avons tendance à voir l’enseignant comme quelqu’un
qui démontre et supervise, avec le risque malheureusement que faute de pratique
l’enseignant finisse par régresser. Bien sur démontrer et répondre aux questions
des élèves peut permettre d’évoluer mais à mon avis jusqu'à un certain point
seulement. Les questions possibles ne sont pas infinies et les réponses ont
vite fait de devenir toutes faites.
Je me souviens de mes premiers cours à
Nantes et de ce mélange de plaisir et de frustration. Plaisir de partager et
frustration de ne pouvoir pratiquer avec l’intensité qu’on le voudrait, force
de regarder et corriger, se plaçant comme un observateur plus que comme un
acteur. J’aime être un acteur, sentir ma technique et ma compréhension évoluer au
fur et à mesure des années, sortir de l’entrainement avec l’impression du
devoir accompli. En arrivant en Asie, j’ai arrêté d’enseigner pour de
nombreuses raisons, l’une d’entre elles étant ce besoin de progresser d’abord avant
de transmettre quoi que ce soit.
Mais une phrase qui m’avait été dite avant
mon départ à propos de Dani Faynot (6e dan de NTJ et responsable
mondial de l’Arnis Doblete Rapilon) a fini par prendre tout son sens : « Dani
n’enseigne pas. Il s’entraine, et si tu es là tu peux t’entrainer avec lui ».
C’est aussi plus ou moins ce que fait mon professeur d’Aikido, qui démontre les
techniques tant de fois qu’il finit par pratiquer plus que nous. Je n’en suis
pas là, mais dès le salut mon cours se place sous l’angle d’un entrainement
ensemble, plus que d’un enseignement vertical.
Dès le salut
Le salut en Nihon Tai Jitsu est à genoux
et généralement marqué par trois temps :
-
Shomen
ni Rei (salut du shomen, respect de la tradition et des anciens)
-
Sensei
ni Rei (salut des élèves au professeur)
-
Otagani
ni Rei (salut entre élèves)
Volontairement je saute le deuxième salut
et m’incline lors du troisième, auquel le sensei ne participe normalement pas. Dès
ce moment, j’indique que je compte participer à la pratique, au-delà de mon
statut, et que comme eux je suis là pour apprendre et améliorer mon niveau.
Lors du cours
Si nous sommes en nombre pair, je prends
un partenaire quelques minutes puis change régulièrement pour voir tout le
monde. Si nous sommes en nombre impair je me contente de passer de groupe en
groupe. J’ai la chance d’avoir des groupes réduits et il me tient à cœur de faire
la technique à tous et que tout le monde me la fasse. Les arts martiaux sont
avant tout affaire de sensation et copier le mouvement ne suffit pas toujours.
Sentir la technique des maitres et
enseignants que j’ai eu la chance de rencontrer m’a énormément apporté et il me
semble essentiel sentent le mouvement et l’impact qu’il a sur leur corps. A l’inverse,
réaliser sa technique sur quelqu’un d’avancé permet de percevoir des erreurs
qui ne seraient pas forcément visibles avec un débutant.
L’humilité
L’art martial tue l’ego, du moins c’est ce
qui se dit. En 2007, lors d’un stage avec
Hiroo Mochizuki, je me souviens qu’il avait fini son cours par ce
commentaire (la citation n’est pas exacte, mais pas loin) : « pour le
salut final, les enseignants vont se mettre de ce cote et les élèves là. Toute la
journée nous avons été mélangés – les ceintures sont les mêmes pour tous, ndlr –
mais aujourd’hui les professeurs ont accepté de combattre. Et c’est bien parce
que souvent on ne veut pas, parce qu’on prend des coups. Alors là vous verrez
qui est professeur et vous pourrez dire ‘tiens lui je lui en ai mis une’. Des
fois des gens viennent me voir et on fait un combat. Des fois je prends des
coups et c’est bien ». Il y avait tout dans cette remarque, une volonté
incroyable de continuer à progresser malgré son statut et un refus de se poser
en maitre intouchable.
Aujourd’hui comme avant, je participe à
tous les randoris avec mes élèves, et je tente parfois des choses improbables
(et qui ne marchent pas toujours). Rater me donne des pistes de travail et je n’ai
pas de problème à ce que mes élèves me mettent en difficulté. C’est mon rôle de
trouver les solutions et d’augmenter mon niveau pour les faire valser et non le
leur de me rendre la vie facile.
Ce choix ne convient probablement pas à
tout le monde, mais il est parfait dans mon cas. Mes cours sont devenus l’un de
mes entrainements, et mes élèves mes partenaires, me permettant de conserver
mon plaisir intact sans aucune frustration.
Commentaires
Cette citation d'Hiroo Mochizuki est très intéressante.
Je précise que je ne suis qu'élève :)
C'est vrai que c'est nécessaire mais (malheureusement) pas systématique que les enseignants continuent à apprendre et à pratiquer.
Au final nous ne sommes tous qu'eleves, seulement certains l'oublient
@ Pakpeiju
Tes petits os ne perdent rien pour attendre