Kaeshi Waza: les techniques de contre dans les kata de Nihon Tai Jitsu
Les kaeshi waza (techniques de
retournement) sont une partie essentielle de l’enseignement du Nihon Tai
Jitsu, et à mon sens devraient l’être dans tout enseignement martial
digne de ce nom, puisque ces techniques permettent
de briser la dualité Tori/Uke pour entrer dans un monde où les deux
partenaires cherchent à gagner et peuvent utiliser les failles de leur
adversaire. Exploiter ces failles est évidemment difficile mais il est
malgré tout important de commencer à étudier la
question relativement rapidement car c’est en étant mis face à nos
failles que nous pouvons le mieux les corriger.
En Nihon Tai Jitsu, les kata et
formes sont majoritairement construits de manière unidirectionnelle :
Uke attaque et subit la technique de Tori. Mais deux kata font exception
et explorent la notion de kaeshi waza : le Nihon
Tai Jitsu no Kata Sandan, et le Hyori no Kata issu de l’Aikido Yoseikan
de Minoru Mochizuki. Mais si ces deux kata explorent la même chose, ils
le font de manière très différente.
Un kata n’existe que parce qu’il a
un enseignement spécifique à transmettre. C’est un point sur lequel
j’insiste car il me semble que l’on apprend trop souvent un nombre
important de kata sans comprendre leur place exacte
dans la progression et leur raison d’être. S’il ne s’agit que
d’apprendre une succession de techniques, mon avis est qu’il n’est pas
nécessaire de les mettre sous forme de kata et que si l’on prend la
peine de structurer l’enseignement de cette façon il doit
y avoir une raison.
Pour en revenir à ces deux kata,
qu’est ce qui rend leurs approches si différentes alors qu’ils touchent
finalement le même sujet, les techniques de contre ? Mon avis est qu’il
existe plusieurs façons de contrer une technique,
mais qu’en simplifiant grandement le trait, deux grandes tendances se
dégagent : le timing et la réception de la technique par le corps.
Nihon Tai Jitsu no Kata Sandan : la gestion de l’initiative et du temps
Commençons par Sandan puisqu’il est
étudié plus tôt dans la méthode (pour le deuxième dan). Dans Sandan,
c’est Tori qui attaque le premier, Uke exécute sa défense, et Tori la
surpasse. L’attaque initiale de Tori est effectuée
en réponse à l’ intention d’Uke, matérialisée dans le kata par un
mouvement des poings.
J’avais déjà évoqué le sujet, mais
la matérialisation de l’intention de l’attaque est pour moi quelque
chose qu’on peut faire quand on démontre le kata mais qu’on ne devrait
pas faire quand on le travaille au dojo, parce
que c’est l’occasion de travailler Sensen no Sen : la perception de
l’intention avant même le premier mouvement. Autrement dit sortir de la
chorégraphie et essayer d’apprendre quelque chose de vraiment difficile.
Mon avis est comme toujours que si les choses
sont faciles et confortables, elles n’ont pas forcement leur place dans
la pratique. Personne n’a jamais atteint un niveau exceptionnel en
pratiquant dans la facilité à ma connaissance.
Prenons les choses dans l’ordre.
Uke a l’intention d’attaquer et s’apprête à lancer son attaque. Tori le
perçoit et frappe le premier. Uke est donc surpris et pris de court (ce
qui n’est possible que si on ne fait pas semblant
avec le moulinet des poings, encore une fois) et effectue sa défense,
il travaille ainsi sa capacité à lire les mouvements de Tori, sa
disponibilité et sa capacité de réaction, qualités martiales
essentielles. A son tour, Tori doit réagir à la réaction d’Uke
puisque sa première attaque a échoué. Il doit donc également s’assurer
d’être réactif et disponible au-delà de sa première attaque.
Pris de cette façon, c’est un kata extrêmement difficile. Mais c’est aussi ce qui en fait toute la richesse à mon avis.
Hyori no Kata : trouver le point neutre
Hyori no Kata est un kata effectue
au ralenti et dans lequel Tori et Uke se contrent mutuellement à chaque
technique. Le kata marque précisément l’exécution des techniques,
l’annulation de la force par celui qui reçoit la
technique et la façon d’enchainer.
Ce kata travaille ce que j’appelle le « corps neutre » ou « point neutre ». Si je reviens un peu en arrière, mon enseignement comporte trois volets : le travail du (des) corps, le travail technique et le travail libre. Dans le travail du corps, je cherche à développer un certain nombre d’attributs corporels utiles dans la pratique. Ces « attributs » sont les suivants : neutre, lourd, connecté, élastique, fluide, et mobile (on parle ici de mobilité interne des différents éléments du corps, notamment à l’intérieur du torse). Plusieurs de ces « corps » peuvent être utilisés pour les kaeshi waza, et même à l’intérieur du Hyori no Kata, mais le corps neutre est celui qui me semble le plus accessible et intéressant pour aborder la kata au départ, suivi de près par le corps connecté.
Qu’est-ce que le corps neutre ?
C’est l’équivalent du point mort dans une voiture, la neutralité totale,
un corps qui est naturellement stable et équilibre : sans torsion, sans
tension particulière. Dans le Hyori no Kata,
chaque technique est amenée jusqu’à un point « limite », Uke est donc
systématiquement amené dans une configuration ou il est en déséquilibre
et dans laquelle il doit apprendre à gérer les forces qui lui sont
proposées pour « revenir dans le jeu ». Une façon
de gérer ces forces est de comprendre où est notre point neutre, et de
chercher à y revenir. Il ne s’agit pas de bloquer la technique en tant
que telle, mais de la neutraliser en reprenant le contrôle de notre
corps.
A ce sujet, il y a quelques mois je
voyais une intervention intéressante de David Orange Jr sur Aikiweb.
Pour ceux qui ne le connaitraient pas, David est un pratiquant avancé
d’Aikido Yoseikan et fut plusieurs années Uchi
Deshi de Mochizuki sensei à Shizuoka. Son intervention était la suivante :
Pour en revenir au Hyori no Kata,
ma compréhension est que ce que décrit David est exactement ce que le
kata cherche à enseigner. Il ne s’agit pas d’arrêter la technique
proposée, mais d’apprendre à gérer notre propre corps
pour que cette technique n’ait plus de prise sur nous.
On le voit bien, si le but ultime
de ces kata est d’apprendre à contrer la technique adverse, l’approche
choisie diffère grandement, et c’est ce qui rend le fait d’avoir deux
kata intéressants.
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