Savoir regarder
J’avais évoqué dans mon article
précèdent l’importance du sens de l’observation et à quel point je suis
toujours surpris de voir que les gens ne regardent pas. Le
Mitori Geiko (pratique par l’observation) est pourtant un élément
clé des arts japonais, ou tout n’est pas forcement explicite et où il
faut savoir « voler la technique » et donc voir ses points clés. J’ai la
chance dans mon dojo d’avoir un pratiquant
japonais très expérimenté, issu d’une Koryu, le Kiraku Ryu. Ce
pratiquant m’expliquait que dans son école les deux premières années de
pratique étaient exclusivement consacrées à Mitori Geiko. J’ai aussi
souvenir d’une interview de Nishio Sensei sur le blog
Aikido Sangenkai ou il expliquait qu’au début ils ne pratiquaient pas
mais regardaient.
C’est quelque chose que l’on
n’imagine pas faire aujourd’hui. Les débutants veulent immédiatement
monter sur le tatami et pratiquer, et c’est bien naturel. Qui d’entre
nous aurait la patience de s’asseoir et de regarder
les autres pratiquer pendant deux ans… Mais l’effet pervers de cette
bonne volonté est… de ne pas regarder et d’essayer directement de passer
les techniques, sans avoir vraiment pris le temps d’observer ce qui se
passe.
C’est le cas dans les arts martiaux
mais également dans d’autres pratiques. Je suis régulièrement frappé en
Yoga de voir des pratiquants créer leurs propres postures…Si je
comprends qu’un débutant ne puisse pas effectuer
correctement la posture (et même les non-débutants d’ailleurs...) être
capable de recopier plus ou moins la forme devrait être le minimum
syndical : jambe tendue ou fléchie, orteils pointes vers l’avant ou pas,
des éléments basiques. Je trouve ça d’autant
plus frappant en Yoga que dans un studio de 20 personnes qui font la
même chose, on devrait vite repérer si on n’est pas en train de faire le
bon mouvement.
Lors de mes cours, c’est également
un problème qui se pose. J’expliquais à mes élèves à quel point il est
nécessaire de pouvoir comprendre très rapidement ce qui est montre, ne
serait-ce qu’en surface, d’en garder une sorte
d’image mentale et de pouvoir travailler à partir de cela. Comme je
leur rappelais, mes entrainements avec Akuzawa sensei ne sont pas aussi
fréquents que je le souhaiterais, et en partant de ce constat je ne peux
pas me permettre le luxe de glandouiller, de
ne pas regarder et de ne pas chercher à percevoir ce qui se passe en
profondeur. De la même manière qu’un épéiste en Europe ne voyait pas
forcement son maitre d’armes chaque jour mais prenait le plus souvent
des leçons espacées. Il est donc essentiel de comprendre
rapidement pendant ces leçons. J’ai donc montre le premier kata de
Nihon Tai Jitsu une fois, et leur ai proposé de le répéter par
eux-mêmes. Ça n’a pas été un franc succès.
Pour la même raison j’aime regarder
les vidéos de stages dans lesquelles on voit les pratiquants essayer
les mouvements après les avoir vus. C’est parfois surprenant. Je me
souviens d’une vidéo de stage d’Alain Floquet notamment,
où tous les pratiquants de la vidéo effectuaient la technique avec
l’autre bras. Pas forcément un souci en soi, la technique marchait
probablement quand même, mais en regardant la vidéo ce qui m’a frappé
dans le cours d’Alain Floquet c’est qu’il avait l’air
de mettre l’accent sur le contrôle de la structure du partenaire via le
contrôle du coude. Elément qui n’existait plus lorsqu’effectue avec
l’autre bras… La technique marchait donc mais une partie des pratiquants
est donc passée a cote de ce qui faisait la
raison d’être du cours, c’est dommage.
Je suis partisan de regarder de
manière active ce qui est proposé par l’enseignant mais aussi ce qui est
reproduit par les élèves. Qu’est-ce qui différencie les deux, et
qu’est-ce qui fait que cela fonctionne dans certains
cas et pas dans d’autres. Regarder signifie aussi savoir aller au-delà
des apparences. J’écoutais il y a quelques jours une interview d’Ellis
Amdur par Gudkarma, dans laquelle il racontait qu’il regardait les
mouvements du Dantien/Tanden et des pieds et non
ceux des mains, et qu’il s’était donc retrouve à pratiquer des
mouvements en apparence différents de ceux de l’enseignant, sous le
regard outre des autres pratiquaient qui s’empressèrent de se plaindre
auprès du maitre. Maitre qui répondit platement « oui,
on peut aussi faire comme ça », avant de le prendre à part et… de lui
montrer un peu plus.
Commentaires
A propos du yoga, j'aurais une question Xavier, pratiques-tu plus du style Vinyasa ou Ashtanga en complément de ta pratique martiale ?
Je fais surtout du Vinyasa mais mon studio propose pas mal de cours différents et je fais en fonction de ce qui est disponible (et des enseignants) aux heures qui m'arrangent. En général Vinyasa 3-4 fois dans la semaine, Hatha 2 fois et parfois du Yin. Je faisais un peu d'Ashtanga au début mais le cours a été enlevé de ce studio là et les positions au sol me mettaient un peu trop de contraintes sur les genoux donc j'ai préféré mettre ça en suspens même si j'aime beaucoup la méthode