Invest in loss

“Invest in loss” (investir dans la perte) est une expression que j’utilise beaucoup dans mes cours parce que bien que contre intuitif il s’agit pour moi de l’une des méthodes les plus efficaces (pas la seule, évidemment) pour progresser rapidement dans le domaine martial. Dans une pratique martiale, orientée à l’origine vers la survie, il peut sembler paradoxal de se mettre soi-même dans une situation délicate, et pourtant…

Gagner à tout prix… et ensuite ?

La pratique martiale est souvent liée dans l’inconscient collectif à l’idée de victoire et de supériorité. Il faut vaincre avant tout, peu importent les moyens mis en place. Et si je suis d’accord avec cette idée dans un combat de survie, on ne m’enlèvera pas de l’idée que le but de l’entrainement est avant tout de former les individus pour qu’ils puissent réagir correctement dans le cas d’une confrontation. L’entrainement n’est pas la confrontation et ne doit pas le devenir, au risque de passer a cote de l’essentiel.

Quels sont les risques à vouloir à tout prix gagner ? Le principal à mon avis est justement de ne prendre aucun risque, de rester sur la défensive, dans sa zone de confort et ainsi de ne pas saisir l’opportunité de découvrir quelque chose de nouveau qui nous permettrait de passer à une étape supérieure.

Le second risque, tout aussi important est de tenter de passer en force pour que la technique fonctionne alors que les critères essentiels à son exécution ne sont pas réunis. C’est acceptable au début évidemment, mais après un certain temps de pratique il est utile de savoir faire la part des choses entre ce qui est passe parce qu’on est passe en force, et ce qui était « juste ». On me dira que l’essentiel est que ça passe, et encore une fois ça n’est pas faux, mais le but de l’entrainement reste d’affiner la pratique et on affine les choses en s’apercevant de leurs limites et en réfléchissant a la façon de contourner ses limites. Dans un article récent, Dani Faynot disait d’ailleurs une phrase on ne peut plus juste « on ne progresse pas pendant la pratique mais entre les sessions ». Partant de là, si vous voulez progresser entre les sessions, il vous faut avoir matière à réfléchir. Gagner est satisfaisant pour l’ego et offre son lot d’apprentissages (« qu’est ce qui fonctionne ? ») mais il n’est pas suffisant pour développer sa pratique en profondeur.

Perdre, oui mais pourquoi et comment ?

Ok, donc l’idée, à l’entrainement, n’est pas nécessairement de gagner et il faut investir dans la perte. Mais comment et pourquoi ? Soyons clairs, je n’encourage pas du tout les Uke qui partent déjà perdants, convaincus que leur destin est d’être un sac de frappe qui doit se faire massacrer par Tori. Il y a une différence entre perdre par renoncement et perdre parce qu’on essaie d’apprendre quelque chose.

L’un des axes de ma pratique consiste à étudier l’espace disponible dans mon corps et comment il m’est en réalité possible de revenir de situations qui semblent désespérées en ajustant des réajustements dans mon alignement notamment. Accepter le déséquilibre et la mise en difficulté, voire créer soi-même une situation dans laquelle on se retrouve vulnérable est typiquement une opportunité de découvrir comment notre corps réagit dans une situation limite, et dans quelle mesure on peut reprendre la main. Parfois on ne peut pas, et on perd, ça n’est pas grave, on en ressortira avec une idée d’une limite à partir de laquelle on n’est pas capable de revenir, en tout cas à cet instant T. Des fois on pourra revenir et on s’apercevra que ce qui semblait une situation désespérée ne l’était finalement pas tant que ça. 



Comprendre ses limites à un instant T est essentiel. Nos limites évoluent au fil du temps alors que notre pratique s’affine. C’est vrai tant physiquement que mentalement, puisque de nombreuses limites dans notre équilibre sont liées au fait que notre cerveau ne reconnaissant pas la position du corps dans l’espace comme une position équilibrée. En Aunkai c’est quelque chose qui est très visible dans des exercices Push Out : un débutant ira le plus souvent vers l’avant dans une position que son cerveau connait, en revanche dès qu’il commencera à ramener le corps vers l’arrière il se sentira vite partir. Pourtant l’espace existe et a force de travail le corps et le cerveau finissent par accepter cet espace comme ne posant pas de soucis particuliers.

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