Au-delà de la surface

La pratique martiale est comparable à un iceberg. Une partie visible, impressionnante par elle-même, et une partie cachée sous l’eau, souvent beaucoup plus grande mais invisible. La partie visible de l’iceberg correspond à la forme extérieure de l’art : ses techniques, alors que la partie immergée correspond à des principes beaucoup plus profonds sans lesquels les techniques en question n’existeraient pas. Si c’est facile à comprendre sur le papier, force est de constater que dans la grande majorité des cas, les pratiquants restent sur le sommet de l’iceberg, en surface. Il est pourtant difficile de les blâmer car la partie immergée étant par définition « invisible » elle n’est pas forcement aussi accessible.






Pourquoi accéder aux enseignements profonds ?

C’est une question plus légitime qu’il n’y parait. Par enseignements profonds j’entends notamment la modification de l’utilisation du corps, et donc le fait d’apprendre à bouger son corps d’une façon spécifique. Force est de constater que tous les arts ne travaillent pas sur cette modification, et que ça ne les rend pas inefficaces pour autant. La boxe thaï ne recherche pas une modification de l’utilisation du corps et son efficacité n’est pas remise en question.

Pourquoi donc chercher à modifier l’utilisation du corps ? Plusieurs raisons. La première est que le contexte du Bujutsu implique de pouvoir agir face à des personnes beaucoup plus fortes physiquement, ou plus nombreuses, ou qui nous attaquent dans une situation difficile et non-prévue. Nous sommes donc dans un contexte très différent des sports de combat ou la présence de règles communes et de catégories de poids amènent l’environnement en territoire « connu ». L’autre raison, liée a la première, est que l’âge ne jouant pas en notre faveur, un travail de type physique verra ses limites rapidement alors que nos capacités commenceront à diminuer. Les enseignements profonds permettent de compenser cette baisse de nos capacités athlétiques.

Dans le cas des Bujutsu, je suis convaincu qu’un certain nombre d’entre eux ont été conçus pour des personnes bougeant d’une certaine façon. Recopier la forme de la technique est évidemment un début (la première étape du Shu Ha Ri) mais copier la forme n’amènera que des résultats limités. J’avais été particulièrement surpris lors de ma rencontre avec Akuzawa sensei que non seulement mes techniques ne marchent pas sur lui, mais que des techniques qu’il effectuait « mal » selon mes critères fonctionnaient sans aucun problème, me permettant de réaliser que le problème venait pas de l’angle ou d’un autre détail technique mais de « quelque chose de plus ». Au-delà de l’utilisation du corps, les Koryu ont un « gout » particulier, différent selon les écoles. C’est aussi le cas d’écoles modernes influencées par des Koryu, et je pense notamment à l’Aunkai et au Kishinkai ici, deux écoles très différentes dans leur conception et qui ont toutes les deux un gout unique. Il est pourtant courant de rencontrer des pratiquants, même avances dont la pratique n’a pas de gout, les techniques sont là mais semblent vides, le curriculum technique peut être vaste, mais ne semble pas lié par une cohérence.

Partant de ce constat, s’il n’est pas nécessaire de chercher à accéder aux enseignements profonds, je crois que ce sont ces enseignements qui permettent de réellement comprendre notre pratique et de dépasser la simple chorégraphie technique, aussi propre soit-elle.

Comment y accéder ?

C’est la question à 1 million. Deux possibilités : trouver tout seul les éléments caches ou trouver quelqu’un qui nous les enseigne.

Trouver tout seul est particulièrement difficile parce que ça implique de chercher, de se planter, de chercher à nouveau, de se re-planter, et finalement de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. C’est évidemment laborieux et peu efficace, a fortiori en partant de rien. D’ailleurs si l’on parle souvent de « voler la technique » il s’agit bien de la voler a quelqu’un, et pas de partir 3 ans tout seul dans la montagne pour avoir un satori et soudainement tout comprendre. Un excellent sens de l’observation est essentiel pour comprendre ce qui est montré par l’enseignant, et j’y reviendrai surement dans un prochain article.

Avoir un enseignant est certainement la méthode la plus rapide et efficace, puisqu’avoir quelqu’un qui est déjà passé par les mêmes étapes et peut amener directement sur le bon chemin est un gain de temps certain. Un enseignant permet aussi de recevoir directement la sensation et d’avoir des corrections physiques immédiates, ce qui veut dire que si YouTube est un bon outil de réflexion il ne remplace en rien l’expérience directe. Reste encore à trouver une personne capable de démontrer une pratique d’un niveau supérieur et capable de le transmettre. Les exemples de gens compétents incapables de transmettre ne manquent pas, mais les gens capables des deux existent si on se donne un peu la peine de chercher.

Dans les deux cas, la seule chose qui permettra d’accéder à une pratique plus profonde est le travail. Trouver un enseignant aussi bon soit-il n’amènera aucun résultat sans une pratique engagée, une remise en question constante et une grande profondeur de réflexion. Etre « élève de » n’est pas et n’a jamais été un gage de qualité. Les qualités ne peuvent s’obtenir que par un sens de l’observation acéré et un travail de tous les instants pour comprendre les principes et les assimiler corporellement.

Commentaires

Alexis a dit…
Certains enseignants étant parfois loin et donc ne permettant pas un enseignement régulier, est-il quand même possible d'utiliser leur savoir sur l'utilisation de la structure du corps par des stages ponctuels ?
Cette structure idéale du corps serait ensuite à travailler selon le principe Shu Ha Ri de répéter en gommant et polissant les défauts jusqu'à acquérir la "forme parfaite" ?
Xavier a dit…
Salut Alexis,
J'ai envie de dire que j'espère que c'est possible parce que c'est ce que je fais, n'ayant pas d'enseignant à moins de 5h de vol. Je crois honnêtement que c'est faisable mais que ca demande beaucoup de motivation et de réflexion personnelle. À terme c'est probablement une bonne chose mais sur le court terme c'est évidemment un peu frustrant

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